Comment je fais ma veille… par Sylvain Abélard


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Sylvain AbélardSylvain Abélard (@abelar_s) aime résoudre des problèmes pour faciliter la vie des gens.
Associé chez Faveod, organisateur de ParisRB et @RailsGirlsParis, il participe aux podcasts lerubynouveau.fr et zenm4.net.

Récemment, j’ai écrit un article sur Comment je fais ma veille en 2017. Comme il n’y a pas de solution unique, j’ai proposé à quelques amis de décrire à leur tour, leur routine, leurs sources, leurs outils…

Pourquoi est-ce important de faire de la veille ?

Pour moi, ça rentre dans la catégorie “s’informer”.
On a besoin de ça pour prendre des décisions efficaces.
Après, je ne me pose pas de questions sur la veille car je suis curieux et j’aime ça :
être informé, éviter les bêtises, savoir ce qui se fait, s’inspirer…

Il y a une dose de FOMO bien sûr : on aime tout ce qui brille et on a peur de rater “le dernier truc”. Au bout du compte il faut accepter de ne pas tout savoir, et d’y aller quand même.

On passe alors à une “culture” entière, dans son business, ses projets et même toute sa vie : on s’informe, on choisit, on laisse des garde-fous et des portes ouvertes…
La veille est une partie de cette culture, une brique essentielle, mais la veille ne fait pas tout.

Sur quel(s) sujet(s) fais-tu de la veille ?

J’essaie d’avoir un éventail varié, pour être un “T-shaped individual” : une connaissance très profonde sur très peu de sujets, et large mais moins profonde sur de très nombreux autres sujets.

Pour moi, c’est le code et surtout le Web, le business de l’informatique et surtout le cycle de vie des projets. À partir du Web, c’est naturel de s’intéresser aux applications mobiles, aux API, et à partir de cycle de vie des projets, de regarder de l’avant-vente jusqu’à la conduite de changement…

Là encore je vais parler de “culture” et de “process” : si vous êtes “enfermés” dans un rôle, disons le code “pur” vous n’aurez pas forcément l’occasion de vous poser des questions sur les phases de vente, ni sur les phases de livraison, d’accompagnement…

Ce n’est pas négatif : on n’a pas forcément le temps de tout faire, et il y a déjà énormément de valeur quand on est expert en génie logiciel, qu’on a un peu de bouteille, qu’on peut comparer les langages et outils pour les choisir… même si idéalement, pour ça, il faut vraiment les utiliser et pratiquer.

Du coup, outre la partie “veille pure”, c’est ma vie professionnelle que j’ai choisie justement pour maximiser cette exposition, mais aussi en étant accompagné correctement : on passe beaucoup de temps au travail, autant avoir un rôle et des équipes bâties pour la diversité de point de vue, de compétences, et d’échanges.

Quelles sont tes sources d’info favorites ?

Ça dépend ! J’essaie de séparer le contenu (quoi), le contenant (texte/audio/vidéo), de la source/plateforme… Et ça dépend aussi de ce que tu vises en terme de production et “curation” de média.

En terme de contenu et de source, je choisis un mélange de “pointu” et “large”. J’ai fait un effort volontaire pour retirer “ce qui me ressemble” (les infos qui m’arrivent déjà) et aller vers “ce qui est très différent” pour confronter les points de vue (ça peut aussi servir de veille concurrentielle).

Par exemple, sur mon twitter, je follow pas mal de Français et américains, mais aussi quelques personnes du reste de l’Europe et du monde. Je follow des gens qui font du Ruby, Rails et JS mais aussi PHP, C++ et Haskell, ainsi que des devs mobile, VR, ou des designers.

À l’inverse, j’ai arrêté de suivre les “leaders d’opinion” : quand tout le monde regarde les mêmes comptes, si quelque chose est vraiment très important et sort de la moyenne, ça finira bien par retomber dans ma timeline.

J’ai aussi arrêté de follow les gens qui me ressemblent trop, pour les mêmes raisons.

Et j’ai la chance d’en croiser lors de meetups, ce qui mériterait un sujet à part entière.
Au passage, dans l’histoire de “culture d’info”, organiser un meetup comme ParisRB permet justement d’avoir des informations qui viennent à moi, plutôt que d’aller en chercher. C’est un piège aussi, parce que c’est vite fait de se noyer sous les demandes, ou de s’isoler dans une “chambre à écho” et se déconnecter des réalités, mais pour l’instant j’en suis plutôt content.

Je n’aime pas trop parler du média, parce que les moyens de consommation dépendent des phases de la vie : Twitter quand j’avais un métro aérien, des podcasts avec un trajet en voiture. Aujourd’hui je mélange un peu les deux, mais j’apprécie dans les podcasts le fait d’avoir des enquêtes plus approfondies (Planet Money, Freakonomics, Affaires sensibles…), ainsi que d’arrêter d’avoir le dos voûté dans les transports :)

À part ça, je préfère les médias écrits car je lis très vite, et c’est très rare que je tombe sur des choses où la vidéo est plus pertinente ou plus efficace que les autres formats.

Avant la 3G partout, j’avais Google Reader (un excellent produit que je pleure encore aujourd’hui), puis NewsBlur, un excellent lecteur RSS que je paie avec le sourire (je vote avec mon porte monnaie : Samuel Clay fait un bel outil, ne fait pas de pub et ne vend pas mes données).

En terme de plateformes, pareil : Twitter surtout, et un peu de Mastodon (je suis sur mamot), qui est incroyablement bienveillant. On vit déjà dans un monde stressant et agressif, il faut savoir quand votre “régime d’information” mène à l’indigestion.

J’ai aussi lâché le trop célèbre Hacker News pour HN-daily, un RSS avec le top 10 des articles (sans les commentaires). J’avais tenté de suivre lobste.rs (moins d’aggressivité, davantage de bienveillance et de valeur) mais je n’avais plus trop le temps.

Il faut surtout trouver le contenu de qualité où il est : quelques “vieux de la vieille” ont encore un blog de qualité, qui ne finit pas toujours sur Twitter, et hop, ça part dans le RSS :)

La veille est un sujet qui vous permet aussi de partager : sans dire “écrivez un blog” ou “ayez un twitter”, c’est facile de re-partager ce qui vous intéresse, et fournir ainsi un niveau de relecture et de commentaire à votre potentielle audience.

RT sur Twitter prend peu d’effort, écrire un blog un peu plus. Ça reste du texte.

Si vous produisez le média pour votre produit, par contre, quand on a un public diversifié, c’est bien d’avoir tous les supports : texte, visuels, audio, screencasts.

A quelles conditions faut-il suivre / ne plus suivre une source selon toi ?

Suivre : si c’est nouveau, si c’est différent, si ça vous plaît, si ça vous intrigue, si ça apporte aux autres (diversité/inclusion), ou si c’est ce que votre client lit aussi.

Arrêter : si ça fait doublon, si ça ne vous intéresse plus, si c’est aggressif.

Il y a un phénomène qui marche aussi en business : diversification puis consolidation.
À un moment, je veux découvrir le storytelling, apprendre une nouvelle langue, regarder ce qui se fait en JS ou en Amérique du Sud…
Je me plonge là-dedans, je prends un livre ou Wikipedia, je fais 15 follow sur Twitter, et je “baigne” dans le truc sans trop comprendre, puis je fais des “ponts” avec ce que je connais déjà… jusqu’à ce que ça aie du sens pour moi.
À partir de là, je vais pouvoir retirer ce qui est “trop évident” pour moi ou en doublon, et reprendre la qualité au lieu de la quantité.

Bref, pour faire grandir l’arbre de la connaissance : on laisse tout pousser, puis on garde les meilleures branches et on coupe les autres pour éviter de s’étouffer ou gaspiller de l’énergie.

C’est une méthode qui me plaît, parce qu’on peut vite voir ce qui est “normal” dans ce contexte et ce qui “détonne” un peu. Le problème de Twitter et autres, c’est de favoriser les chambres à écho où soudainement “le dernier framework JS est absolument important, tout le reste est mort et il ne faut faire que ça !!!” et puis finalement, avec du recul et de bonnes bases, on peut juger.

Par exemple, choisir une techno pour mon entreprise, mes clients et moi, ce n’est pas anodin : on pourrait y passer des dizaines de jours et presque autant de projets qu’il faudra maintenir.

Du coup, j’aime le “low tech” : à la fois pour se rapprocher des standards et pouvoir intervenir dans les tréfonds de la pile technique, et à la fois pour voir ce qui est “comme tout le monde” et ce qui est “vraiment différent”.

Avoir des bases solides, et une connaissance de “l’histoire”, ça permet aussi de juger plus vite. Au pire, on se lance dans un vrai proto et ça permet de mener l’enquête jusqu’à son terme.

Enfin, je suis ce qui se passe sur developpez.net et leur forum Ruby : c’est une énorme communauté de devs, que le monde des “jeunes devs Web sur Twitter” ne connaît presque pas. Pour autant on ne peut pas l’ignorer, et c’est intéressant de voir leur approche à la tech, aux nouveautés…

Tout comme les “sondages de popularité des langages” vont dépendre de ce qui est mesuré (livres et articles, questions StackOverflow, projets GitHub, salaires et postes sur telle plateforme de recrutement…) il y a à la fois un biais de sélection, et une opportunité manquée : il faut lire la même presse que votre client, et il doit y avoir bon nombre de devs ou décideurs à se dire “si c’est pas vivant sur developpez.net c’est que c’est mort”.

Quelle est ta routine ?

Twitter et podcasts en transports, et j’ouvre tous mes liens dans LinkBubble pour “lire pour plus tard”.

J’ai aussi des dizaines d’onglets, des centaines de bookmarks, des milliers de “favoris Twitter”, ainsi que des livres et des trucs dans Pocket… mais on ne va pas se leurrer, je crois que je ne lirai jamais tout :)

Au travail selon le besoin, recherches ciblées, mais essentiellement ça reste cette “culture de l’information” que j’ai mise en place pour que les trucs intéressants me tombent sous le nez, et que j’ajuste.

Partages-tu ta veille ? si oui comment et où ?

Sur Twitter, @abelar_s pour de l’anglais, @railsgirlsparis pour du français et de l’inclusion.

Je partage toutes les présentations que je fais en meetups :
http://maitre-du-monde.fr/talks/ (le plus souvent à ParisRB).

Je parle un peu de veille dans ma présentation “10 ans de lecture”, et c’est en filigrane dans “le CTO à 2€” : quelques principes de base et heuristiques pour faire des décisions plus réfléchies et moins impulsives.

Sur le même site, mon blog est plutôt une sorte de “wiki perso” ou de FAQ,
mais le fait de lister, formuler et publier certains de mes projets m’a permis :

  • d’être plus lucide dessus (objectifs SMART)
  • d’en “lâcher” sans culpabilité (tout est prêt à ressortir)
  • et de trouver des gens prêts à se lancer sur des sujets communs

Par exemple, on a lancé avec quelques développeuses et développeurs Rails un podcast web francophone — lerubynouveau.fr — et je suis très content de ce que ça donne : discussions, générations d’idées, etc :)

Si tu avais un conseil à donner pour faire une bonne veille, quel serait-il ?

Prenez soin de vous, soyez bienveillants, restez curieux et ouverts aux opportunités.

Gardez l’oeil sur l’objectif, et révisez vos objectifs de temps en temps.

Plus ça vous choque, plus ça vous surprend, plus c’est intéressant de creuser et vérifier.

Plus vous aimez, plus vous y croyez, moins vous devez faire confiance. C’est le piège.

Révisez vos bases, solidifiez les acquis, faites à la fois dans le spécialiste et le généraliste (le “T-Shaped”), soyez attentifs à la diversité pour ne pas sombrer dans les “chambres à échos”, à l’inclusion pour découvrir davantage de richesse et générer des idées.

Quels outils utilises-tu ?

LinkBubble, je ne peux plus m’en passer :)

PodcastAddict et NewsBlur, excellents dans leur catégorie.

Plume pour Twitter, mais aucun client ne me satisfait vraiment (multicomptes etc).

Merci Sylvain !

  • Pierre Ammeloot
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    Pierre Ammeloot Pierre Ammeloot

    Je note « Plus ça vous choque, plus ça vous surprend, plus c’est intéressant de creuser et vérifier. », merci Sylvain ! :D